Le sujet IA occupe intensément l’espace médiatique depuis plus d’un an, démontrant ainsi qu’il n’est pas que feu de paille et coup marketing, encore que ce second point ait été soigneusement orchestré par les protagonistes. L’IA n’a par ailleurs rien de très nouveau et défrayait déjà la chronique il y a bientôt 30 ans en battant Kasparov aux échecs. C’est l’interface « chat », le caractère génératif (IAG), et la mise à disposition du grand public qui changent la donne, et nourrissent bien des fantasmes.
Faisons taire les cassandres
Goldman Sachs prédisait il y a un an que 300 millions d’emplois allaient disparaître. L’été dernier, le Bureau International du Travail publiait un rapport qui envisageait plus de créations que de destructions d’emplois. Dans un sens ou dans l’autre, il sera sans doute bien difficile de quantifier l’impact direct de l’IA. Ce que l’on sait, c’est que le progrès technologique n’a jamais à l’échelle macro et sur le temps long généré du chômage, et c’est toujours le contraire qu’on a observé. #MarchéDuTravail #Futur
Le point qui fait consensus, c’est que l’IAG va bousculer le monde, de l’entreprise comme celui des arts, la défense stratégique comme la sphère privée.
Pourquoi l’IA va être partout ?
Deux exemples pour illustrer l’ampleur du champ d’application, ampleur étant un euphémisme.
Au service de la recherche pharmaceutique, l’IA est capable de prédire la forme d’une protéine, et donc son potentiel d’interaction avec une cellule et l’efficacité d’une nouvelle thérapie. Grâce à Alphafold de la société Deepmind (Alphabet-Google), on fait en 30 jours ce qui prend d’habitude 3 à 5 ans.
Plus proche du quotidien d’une entreprise, l’IA c’est une capacité à traiter automatiquement un mailing, en identifiant adresse, correspondants… Basique, mais c’est justement cet éventail qui en fait un outil qui sort de l’ordinaire.
« L’IA, peut servir à peu près à tout. Sa seule limite c’est notre imagination ».
Wassim Jouini
Si vous ne venez pas à l’IA, l’IA viendra à vous
Mais si c’est elle qui s’impose dans votre paysage, ce ne sera pas une bonne nouvelle. C’est que vous aurez été débordé.
D’où le caractère indispensable de cet apprentissage, qui est à la portée de tous puisque l’ergonomie est sa qualité première. L’IA ne requiert pas de devenir ingénieur informatique. Ce n’est pas une nouvelle science, c’est un outil, qui vient soutenir ceux qui existent déjà, et amplifier vos compétences. Sa polyvalence impose de fait un upskilling global dans les entreprises, une intégration 360° qui s’appuie sur la dimension RH ; éviter la recherche de pure performance, immédiate, grâce à la technologie : ce sera le meilleur moyen de ne pas l’obtenir.
« L’utilisation de l’IA doit se réfléchir à l’aune des besoins de l’entreprise, et non pas être dictée par les capacités de l’outil. »
Jean-Pierre Corniou
Foncer dans un champ d’application parce que l’IA vous permet d’y aller vite, ce serait le risque de s’y perdre, puisque ce champ est infini et que l’IA peut aller dans toutes les directions. Pas de précipitation donc.
#Adaptation #Apprentissage
Se construire une vision
L’entreprise a besoin en premier lieu de se doter d’une vision, holistique, pour définir un cadre de déploiement, qui sera évolutif.
- Concernant la gouvernance et le management, la question qui se pose est la place laissée à l’IA dans les processus de décision. On ne peut ni vérifier scrupuleusement l’intégralité de ce qu’elle fournit (Sinon à quoi sert-elle ?) et encore moins l’inverse, parce qu’elle commet des erreurs.
- Pour l’organisation des compétences, intégrer que là où les outils précédents augmentaient la productivité en accomplissant des tâches de niveau basique, l’IA pénètre le domaine du cognitif. Il faut déterminer la place que l’on laisse à sa production pour chaque composante d’une compétence, ses habiletés : mémoriser, appliquer, analyser, évaluer, créer, contrôler…
- Pour la dimension processus, c’est l’enchaînement des tâches qui va être questionné, l’IA n’étant pas forcément le premier maillon comme pour la présélection de CV.
#Stratégie #Gouvernance
Du top-down au bottom-up
Cette diffusion ne peut se faire dans l’idée que l’IA va régler les difficultés inhérentes au facteur humain. C’est précisément le contraire qui se passera alors. Si une certaine verticalité est indispensable à la cohérence du processus, la diffusion se fait sans perdre de vue la raison d’être de l’entreprise, sans rien en sacrifier sur l’autel de la rentabilité, sans oublier personne ; c’est le prérequis à l’adhésion des collaborateurs.
Leadership technologique et leadership RH ne doivent faire qu’un. Suggestions et améliorations ne tarderont pas à emprunter la voie bottom-up, ce sera le signe d’une diffusion réussie.
Ce n’est pas à l’entreprise de s’adapter à l’IA, c’est le contraire, mais pour cela, il faut la maîtriser.
Maîtriser et fiabiliser
La pratique de l’outil doit s’accompagner de la connaissance de ses faiblesses. Dans la quête de rapprochement avec le cognitif humain, l’IA est entraînée sur un corpus de données, le Web ou une partie, qui comportent tous les biais de notre société, qu’il faut connaître, savoir détecter… Si une IA est « éduquée » pour ne générer aucun contenu qui sortirait d’un cadre moral, légal, ou bienséant, cet exemple caustique et navrant est parlant : on a demandé à une IAG graphique de proposer un dessin d’un cambrioleur blanc. Résultat : un cambrioleur afro-américain, habillé en blanc. Ce biais a sans doute été corrigé depuis.
Les erreurs de l’IAG sont fréquentes, on les appelle « hallucinations », parce qu’elle ne comprend pas ce qu’elle écrit, et l’apprentissage de son utilisation est comme une collaboration : il faut connaître les atouts comme les faiblesses de son collaborateur.
#Leadership #Collaboration
Maîtriser et sécuriser
Cet espace nouveau à défricher évoque évidemment le far-west et les réglementations cavalent derrière. L’IA Act, que l’UE doit bientôt valider, propose un cadre qui identifie déjà les possibles dérives et interdit certaines utilisations : interdiction des scores sociaux, de l’extraction d’image pour la reconnaissance faciale… Certains déploiements de l’IA imposent donc de la vigilance pour que votre entreprise reste dans ce cadre partagé.
La sécurité se situe également à l’échelle de votre activité et l’utilisation d’une IA générative doit s’entourer d’un certain nombre de précautions. Les employés de Samsung ont par exemple fait travailler ChatGPT sur leurs données internes, sans tenir compte du fait qu’OpenAI entraînait ses modèles sur les données soumises par les usagers. Et Samsung de s’apercevoir que des données confidentielles et stratégiques se promenaient en dehors de ses serveurs !
Les grandes entreprises ont développé une parade, en créant une interface similaire et en bloquant ChatGPT, et obtiennent d’Open AI la garantie de ne pas utiliser les données pour entrainer ses modèles. Ce n’est pas forcément à la portée de tous, donc la prudence est de mise lorsque l’on manipule des données internes.
#Sécurité #Ethique
Ni attentisme, ni précipitation
L’intégration de l’intelligence artificielle à l’organisation ne diffère pas fondamentalement de toutes les transformations auxquelles une entreprise procède en permanence, elle est « simplement » à l’échelle de la puissance de l’outil : globale et profonde. Et elle ne doit en rien détourner des objectifs initiaux : créer de la valeur, ensemble.
#Transformation #Innovation
« Il faut que tout change, pour que rien ne change ».
Le Guépard – Giuseppe Tomasi di Lampedusa